La multitude de courants politique de l’ère moderne révèle une profonde incertitude ontologique dont on nous a promis qu’elle n’allait jamais se produire. On nous a vendu l’idée qu’en rejetant la révélation divine, supposée être la marmite d’où provenaient l’hostilité et la division, nous trouverions l’harmonie sociale. Au lieu de Dieu, nous étions censés adopter la raison et les idéologies fruit de la raison humaine, qui auraient mis fin aux querelles, et auraient inauguré sur terre le royaume de Dieu (pas au Paradis). La période des Lumières aurait été le point culminant où ces idéaux aurait dû dominer.
Tout ceci (comme on pouvait s’y attendre) a conduit à un véritable cauchemar, présenté avec en guise d’avènement la sanglante (et potentiellement proto-fasciste) révolution française, avec un écrivain décrivant la “gigantesque parade un jour où tout le monde se devait de l’acclamer, au risque d’être soupçonné de manque de dévotion à la république, et les rafles nocturnes régulières de la police pour arrêter les ennemis de la république” [1], rappelant ses héritiers totalitaires ayant par la suite pris la forme du communisme et du fascisme au 20ème siècle.
En effet, presque par nature, toute tentative de créer une société utopique sur Terre conduit à la dystopie. Certaines choses doivent être dites concernant l’étrange familiarité des aboutissements auxquels mènent les idéologies issues de la raison humaine. Le point commun des les divers courants politiques depuis la révolution française est le fait qu’il tombent tous dans le clivage gauche-droite, modelés à l’époque par l’assemblée nationale française. A gauche du Roi se tenaient ses opposants : révolutionnaires, républicains et courants similaires. A sa droite, les défenseurs du trône : royalistes, conservateurs, nobles, etc…Au cours du 20eme siècle, ce spectre donna forme au discours politique en Europe et en Amérique, y ajoutant l’extrême-gauche (communisme), et l’extrême-droite (fascisme). Pour résumer ce que ces positions incarnent, nous pouvons décrire la gauche comme étant la cause des classes sociales défavorisées et autres mécontents, le centre représentant les classes moyennes, et la droite comme se préoccupant des intérêts des casses aisées, ainsi que des élites.
A travers le processus de colonisation, la civilisation islamique a vu ses structures sociales, politiques, économiques entièrement rasées, et remplacées par les institutions occidentales coloniales, ayant pour objectif d’imiter les institutions politiques des territoires dont les colons étaient originaires. Ainsi, les discours traitant de socialisme, nationalisme, libertarianisme, sécularisme et autres devinrent dominants même dans le monde musulman. Ce processus s’intensifia après que les puissances coloniales abandonnèrent le contrôle (physique) des pays musulmans, qui devinrent des États-nations, conservant les institutions coloniales et idées sous-jacentes que l’on pourrait qualifier de colonisation mentale, que les peuples perpétrère eux-même. Certaines de ces idées précédèrent même la colonisation proprement dite, caractérisée par l’invasion occidentale et le contrôle direct; nous avons ainsi observé la montée croissante d’intellectuels et de journaux vers la fin de l’Empire Ottoman, dédiés aux débats et à la dissémination d’idées en provenance d’Europe traitant de la nation, de l’identité, de l’organisation politique (démocratie et constitution) et même de l’organisation économique (montée du socialisme). Dans tous les cas, ce que nous pouvions constater alors était la création d’une lente dépendance envers l’occident concernant la production d’idéaux politiques, que le monde musulman ne faisait qu’ingurgiter et recracher sous un aspect déformé.
Islam : de gauche ou de droite ?
Ce qui est aujourd’hui appelé “politique islamique” tombe souvent dans le schéma occidental droite/gauche. Musulmans libertaires, musulmans marxistes, musulmans centristes, et ainsi de suite…Personne, après avoir enquêté sur la généalogie de ces idéologies européennes, ne peut affirmer que l’islam dans son ensemble ne correspond qu’aux idéaux de gauche, ou de droite. L’islam partage certains éléments issus de ce spectre, prenant le bon et rejetant le mauvais sans s’y soumettre. Le règne de la Shari’a tel que formulé dans le Coran et la Sunnah dépasse la “gauche” et la “droite” et rejette de ce fait cette manière de classer les idées et ce qu’elle a à offrir. L’islam existe en dehors et bien au delà de celui-ci. Par exemple, les savants étaient durs envers l’État concernant les taxes, les condamnant car considérées comme une dure charge pour le peuple, tout en soutenant ce même État dans son rôle de collecter la Zakat, distribuer la charité, et venir en aide aux nécessiteux. Ceci est un exemple qui laisserait les politiques occidentaux confondus car il transcende le clivage gauche-droite, qui lui tend à polariser les idées d’indépendance financière, et d’assistance sociale.
Fondamentalement, l’Islam propose une vision du monde aux antipodes des affirmations et postulats sur lesquels se fondent ces idéologies. Ceci en raison du fait qu’elles prennent racine dans les idéaux des Lumières, qui comme nous l’avons noté, élèvent la raison au dessus de la révélation. Par exemple, ce qui motive le plus les idéologies enracinées dans les lumières est une vision linéaire de l’Histoire. Le capitalisme (et son historiographie Whiggiste), le communisume (matérialisme historique) et même le féminisme, qui adhère à la conception de l’histoire qui veut que le monde avance vers l’utopie, en remplaçant la lutte des classes marxiste par la lutte des sexes. Une étude plus profonde des différences entre le “paradigme islamique” et le “paradigme occidental” n’est pas du ressort de cet article, mais je recommande à ceux qui veulent approfondir le sujet le livre “Alternative Paradigms” d’Ahmet Davutoglu[2].
Alors que les sociétés occidentales continuent de se polariser avec l’avènement de mouvements culturels et politiques anti/post-libéraux, les libéraux montrent les crocs et paradoxalement, un anti-libéralisme croissant contre tout ce qui menace leur hégémonie. Dans ce contexte, la stabilité et le succès relatif de la Chine tendent à annoncer la fin de l’histoire de l’ancienne démocratie libérale. Il n’est ni nécessaire ni souhaitable d’avoir pour but d’imiter la Chine. Mais dans un monde qui manque cruellement d’alternatives, l’existence même d’un État autoritaire et non libéral se hissant au sommet en un laps de temps si court met en crise ce qui fut considéré comme la sagesse politique depuis 1945. Les États n’évoluent pas vers l’idéal démocratique libéral, et cette voie ne conduit pas à la prospérité. La célèbre déclaration de Fukuyama à propos de “la fin de l’histoire” à la fin de la guerre froide disant que tous les États s’orienteraient vers la démocratie libérale n’a tenu que deux décennies avant d’être réfutée. Il existe des alternatives de développement, et pour les musulmans en particulier, cette époque doit être une aube nouvelle, car durant longtemps leur pensée et leur champ d’action ont été restreintes par l’hégémonie des théories et modes d’action de l’Occident. Ce moment représente une fenêtre pour ceux qui s’intéressent au développement continu de la pensée politique islamique, pour commencer à se défaire de leur dépendance aux idéologies occidentales et à tracer leur propre voie.
La théologie des structures et procédures politiques modernes.
Dans son ouvrage « Recalling the caliphate », Salman Sayyid présente le cas de l’ingénierie d’infrastructures. Il prend cet exemple comme une part de réponse à la question portant sur la manière dont une vision islamique du monde se distinguerait, sur un sujet comme la construction de ponts ou de routes [4].
Il y a cependant une différence entre la manière dont l’Europe continentale et les États-Unis construiraient un pont. La différence ne serait certes pas évidente sur le plan purement technique, sur la manière de construire le pont en soi, mais elle serait plus visible concernant des aspects comme les parts de finances publiques et privées allouées au pont, le niveau de consultation autorisé, les composantes administratives impliquées, de même que le nombre et le rôle des parties prenantes seraient totalement différentes.
A un certain niveau d’abstraction, de tels détails peuvent sembler insignifiants étant donné que l’essentiel : construire le pont, est plus que clair, mais c’est omettre la réalité de tout le processus de construction d’un pont que de le réduire à une simple activité d’ingénieurs. Analyser les intentions profondes qui entourent ce pont permet une approche positive de la tâche que représente la construction d’un pont. Il est moins évident de percevoir ce que l’intention profonde d’une culture ou d’une économie entière pourrait être, et sans théologie, il est difficile de déterminer précisément l’organisation d’une économie ou d’une culture.
Cela mène au constat que des formes distinctes d’organisations économiques peuvent émerger, reflétant chacune des spécificités culturelles et institutionnelles particulières.
Ces spécificités résultent de la cristallisation de luttes historiques et stratégiques, et modèlent les organisations et activités économiques de façon à avoir un impact direct et continu sur les individus, familles et communautés.
Une firme Canadienne ou Chinoise engagée dans la même activité économique se conduira de manière très différente concernant les questions liées à la santé et la sécurité, le traitement des travailleurs, les processus de prise de décision et les attentes, l’organisation culturelle et les valeurs, et tellement d’autres aspects, que l’expérience vécue en travaillant dans l’une ou l’autre firme sera suffisante pour modeler différemment la vie d’un individu.
Il apparaît clairement que la perception du monde n’est pas un simple ressenti abstrait sans influence sur les questions “séculières” de le vie, comme la construction d’un pont ou la formation d’institution politiques pour guider et aider une société. Une perception du monde guide implicitement jusqu’à la plus insignifiante des procédures, conduisant à des perspectives et un style particulier. On pourrait se demander : Mais alors quelle solution? Comment remporter le défi que représente la création d’une réelle politique islamique? C’est une chose que nous avons essayé de mettre en œuvre, et avec laquelle nous avons essayé de nous réconcilier pendant plus d’un siècle, et jusqu’ici avec peu de succès.
Faire avancer la pensée politique islamique
Les projets d’infrastructure publique, ou de politique sanitaire ne représente qu’un échantillon où la politique islamique traditionnelle transcende le clivage gauche-droite. J’irai même jusqu’à dire que la simple présence de cette référence dans nos discours est une manifestation de la dégradation intellectuelle de l’islam, car cela revient à se référer à une conception de la politique défendue par ceux qui ont une perception du monde différente, sinon a l’opposé de la nôtre. Construire une politique “islamique” qui n’est que la transplantation telle quelle du spectre gauche-droite n’est pas un véritable exercice intellectuel ni une réalisation en soi, ce n’est qu’imitation et tromperie. Ce à quoi il est nécessaire d’arriver, est une renaissance et une réorientation de la perception islamique du monde, pas en tant que phénomène historique que l’on peut analyser à travers des livres, mais un regard réel et vivant sur le monde. Cette perception doit prendre en compte notre ontologie (Pourquoi on existe), notre déontologie (les impératifs moraux qui s’imposent à nos actions), et notre théologie(L’objectif profond de ce que nous faisons – car l’au-delà est inséparable de cette vie, et les actes des musulmans sont orientés d’une manière qui reflète notre constante préoccupation de l’au-delà).
Le vrai challenge aujourd’hui, est de développer un cadre politique qui opère avec une vision islamique du monde. Cependant, la plupart des tentatives d’y parvenir ont manqué leur coup. Prenez par exemple l’imitation des “ordonnances du pouvoir politique” d’Al Mawardi tant en substance qu’en apparence, faite par la plupart des travaux contemporains voulant arriver à une “approche moderne de l’islam et de la politique”. Vouloir imiter Al Mawardi ou la “Siyasatnama” issue de l’ère des savants Ottomans en les mélangeant aux pièges de la conception de l’État moderne est la plus grande des erreurs : C’est accepter implicitement le modèle de l’État moderne tout en offrant rien de plus qu’un rappel sentimental du passé pour paraître légitime. Prendre le ministère/département moderne et le renommer “Diwan” ne suffit pas à faire un gouvernement islamique si la philosophie sous-jacente et les procédures demeurent celles de l’État moderne.
Les musulmans se sont retrouvés loin derrière, ramassant les débris des expériences et solutions de l’occident (alors qu’elles s’écroulent actuellement pour la plupart devant nos yeux) pour relever ces défis, puis s’engager dans une piètre imitation jusqu’à ce que l’amas de débris suivant leur parvienne. La lente implosion de l’Occident et la montée en puissance de la Chine non libérale offre une opportunité de dépasser cette basse existence. Une fenêtre est ouverte, nous permettant de questionner le statut quo et nous affirmer. La question est, les musulmans saisiront-ils l’occasion et se préparer en conséquence, ou la rateront-ils en continuant de se plaindre?
Citations:
[1] Furniss, Tom. “Mary Wollstonecraft’s French Revolution.” The Cambridge Companion to Mary Wollstonecraft, Cambridge University Press, pp. 59–81.
[2] Davutoglu, Ahmet. Alternative Paradigms. TPB, 2011.
[3] Fukuyama, Francis. “The End of History?” The National Interest, no. 16, 1989, pp. 3–18. JSTOR, JSTOR, http://www.jstor.org/stable/24027184.
[4] Sayyid, Salman. Recalling The Caliphate. Hurst, 2014. pg.140-141
About the author: Dimashqee is a student of history and politics, focusing on statecraft, geopolitics, and world history.
This piece was generously translated by one of our readers, Badraddin. If you’d like to contribute to our translation efforts, please fill out this contact form!
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